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5 octobre 2015 1 05 /10 /octobre /2015 18:21

Attablée dans un café, madame Dupanloup tapait plusieurs fois sur son front avec sa main, convaincue qu’elle n’opérait point là où elle le désirait.

Sans en démordre elle ne savait pas s’il s’agissait d’un problème d’amour ou d’un problème professionnel.

Ensuite elle pensa que le savoir n’aurait rien résolu de toute façon, « car je suis là dans l’état propice à mal poser les problèmes ».

Mais en sortant du café elle s’avisa qu’elle savait très bien ce qu’elle faisait, qui correspondait exactement à ce qu’elle voulait.

Elle allait chez André qui lui avait préparé des chansons qu’avec suffisamment d’efforts elle saurait chanter.

En arrivant ils burent un café et apprécièrent cet instant, puisqu’ils aimaient travailler ensemble.

C’était un plaisir de s’en rendre compte, et ainsi la question de la valeur de son chant et des musiques de l’autre importait moins.

Quant aux problèmes de cœur (même si probablement son travail…, c’est à dire la façon si curieuse qu’elle avait de l’aborder), il n’était pas bon de vouloir les enchâsser à son travail.

C’était une manie récurrente et qui l’agaçait, de poser un rapport conflictuel entre cœur et travail, « mais je le pose encore mal » disait-elle.

Arrivée donc chez André après un trajet honteux dans le bus, le café fut bu en fait rapidement, ils chantèrent de suite les vieux morceaux, aussi bien que d’habitude, puis les nouveaux.

Finalement, possiblement, c’était au niveau de sa plasticité qu’en un sens cela merdait pour Madame Dupanloup. Tout en découlait : de son corps trop peaufiné sortaient des paillettes, un sourire mièvre et une voix beaucoup trop suave. Comme on disait dans pareils cas, elle n’avait fait que se plier aux canons de la beauté, et plus sa carrière avancerait, plus désolant serait le résultat. Il lui fallut dès ce jour, et progressivement, apprendre à davantage se laisser aller.

Elle y parvint concrètement.

Malgré l’amour trop absent, elle sentit que son travail la comblait.

Peut-être allait-elle donc pouvoir enfin cesser de se plaindre.

Mais tomber amoureuse la rendait bougonne envers l’être aimé.

Elle aurait presque pu, puisqu’elle avait bien chanté, se passer d’être amoureuse, ou alors se dire que sûrement son travail était une façon d’être amoureuse ou un tremplin pour l’être, « mais enfin voyons » remarquait-elle fâchée.

Restait cependant le problème de la plasticité. Et de la reconnaissance. On se rendait bien compte qu’il y avait un problème concernant la reconnaissance, qu’elle aurait très bien pu ou dû appréhender ces questions pareillement avec ou sans public, alors qu’elle attendait trop de ce dernier. Elle alternait toujours brutalement entre le fait de le séduire et de le bouder.

Quant à la plasticité, c’était une trop grosse foirade pour pouvoir durer : cesser de faire la poupée certes, mais n’était-ce pas ainsi qu’elle avait bien commencé ? « Je ne suis pas seule », martelait-elle. Rien donc ne se résolvait, une amie lui rendit son entrain : « Je te fais confiance » lui dit-elle au téléphone.

Mais écoutant la cassette chez elle, elle remarqua qu’elle avait chanté comme une idiote.

Et longtemps après, écoutant une cassette plus ancienne, cela lui convint et lui rendit davantage son entrain.

Elle en profita pour sortir.

Elle se laissa approcher et approcha quelqu’un lors d’une nuit joyeuse et pour le coup ressourçante.

Elle passa outre ce propos triste qu’elle n’avait pas jugé triste deux jours auparavant, quand elle l’avait lu en première page d’un magazine : « Elle l’aime désormais, et depuis lors elle regarde devant soi avec la stupide confiance d’une vache. »

Elle s’adonna aux interviews pour la presse et la télévision. Elle raconta qu’elle avait jusqu’à ce jour oublié cette joie d’aimer et d’être aimé, et comment les deux formes passive et active disaient la même chose. C'était pour l’instant concevable ainsi et elle tacherait d’en être digne dans ces chansons.

Elle arrêta quand même la chanson et disparut.

On proposa qu’elle n’en était que plus heureuse. Puis on se rendit compte qu’elle n’avait pas arrêté de chanter et que ses chansons présentaient de l’intérêt. Elle sentait cependant en elles un cynisme implicite déplaisant qui lui déplut jusqu’à la fin, y compris au cours de son dernier tour de chant, où elle s’énerva en public jusqu’à s’arracher les cheveux, déchirer ses vêtements et se rouler par terre. « C’est faux » rétorqua la presse le lendemain. Elle fut en tout cas hospitalisée et tomba sur de bons psychiatres, mais qui n’arrivèrent jamais à lui faire dire « tant pis », qu’elle ne faisait selon eux qu’opposer à « tant mieux ». Or comme il fallait bien qu’elle s’en remette, elle s’en remit paisiblement. « Dire pourtant que ma vie ne se réduit pas à cela » dit-elle une fois remise.

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